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en terme de justice sociale

Collectif sans ticket - octobre 2001


Dans le courant de l’année 2000, le gouvernement fédéral rendait public son « Plan fédéral de développement durable ». Certains points nous intéressent plus particulièrement :


170 : “La pauvreté est un réseau d’exclusions qui s’étend à toutes les composantes d’une vie conforme à la dignité humaine : le revenu, la formation, le travail, le régime alimentaire, la santé, la mobilité, les droits ,etc…”

438 : “(…) La Déclaration gouvernementale (…) s’engage à élaborer une politique de mobilité intégrée pour diminuer les nuisances environnementales et les nuisances sociales d’une part, et pour augmenter la mobilité de certains groupes sociaux (principalement des enfants, des personnes âgées, des minimexés et des bas salaires) au moyen des transports en commun, d’autre part.”

450 : “(…) En matière sociale, le Gouvernement rendra au moins les chemins de fer financièrement plus accessibles aux jeunes de moins de 12 ans, aux pensionnés, aux personnes à faible revenu,(…)”.

En novembre 2000, lors des premières Rencontre de la Mobilité qui se tenaient à Namur, le chef de cabinet du ministre régional wallon des transports et de la mobilité déclarait : « Face à l’ampleur des problèmes, favoriser le recours aux transports en commun apparaît désormais comme une évidence. Reste à donner du contenu à cette évidence.(…). A en favoriser l’accessibilité et à en démocratiser l’accès. »

Le monde politique reconnaissait enfin que la question de la mobilité et les problèmes concrets liés à l’accessibilité étaient également un problème social, un enjeu qui débordait largement le « simple » transfert modal [1] . De la sorte, il prenait acte du fait que certaines évolutions structurelles, qui expliquent en partie l’émergence de la revendication d’un droit au transport dans plusieurs pays européens, rendaient désormais sensibles les politiques tarifaires misent en place par les sociétés de transport en commun.

Dans ce texte, nous aborderons en un premier temps les évolutions au niveau de l’aménagement du territoire et du rapport revenu – indice des prix. Ces évolutions doivent se comprendre dans le contexte plus large de la globalisation et du développement de l’internet d’une part, et d’autre part dans celui des profondes transformations qui traversent le monde du travail. Nous reviendrons sur ce dernier aspect un peu plus tard [2] .

1. Evolution dans l’aménagement du territoire.

Nous pouvons constater un double mouvement dans l’aménagement et l’utilisation du territoire.

D’une part, les administrations et les services publics se sont hyper-centralisés. Dans de nombreuses villes, on a assisté à une liquidation en règle d’une panoplie de services de proximité [3]. Parallèlement, des "services" tels que les hôpitaux, cinémas ou grandes surfaces ont été renvoyés en banlieue, rendant leur accès difficile pour toute une partie de la population, sauf à recourir à un moyen de transport motorisé [4].

A ce double mouvement se superpose une polarisation financière des quartiers d’habitation, qui se traduit par une évacuation des populations à faible revenu hors des centres urbains. Les urbanistes identifient ce phénomène sous le terme de « gentrification ». Il renvoie à la volonté politique de ramener au cœur des villes cette population au revenu confortable qui, jusqu’au début des années 90, préférait s’installer dans les périphéries vertes des agglomérations. Ce phénomène est particulièrement remarquable dans une ville comme Bruxelles [5].

2. Evolution du rapport prix à la consommation – revenu

Ces 20 dernières années, la Belgique a connu une croissance permanente de la paupérisation et de la précarisation de la population [6]. Ce phénomène s’explique en partie par un écart grandissant entre les prix des biens et services et les revenus. Ce décalage est d’autant plus flagrant dans la question qui nous occupe. En effet, le tarif des abonnements "métro-tram-bus" a augmenté de 50% sur ces dix dernières années, alors que l’indice des prix général dans le même temps augmentait 2 fois moins vite (24%). On sait que pour la même période, les salaires n’ont pas suivi une telle évolution et que les revenus de remplacement tels que les allocations de chômage ou le minimex [7] ou les pensions ont "progressé" moins rapidement et moins fortement encore [8].

Nous devons rappeler à ce stade que l’ensemble des transports publics en Belgique (trains, trams, bus et métros) est financé à 75% environ par les finances publiques (Etat fédéral et Régions ), dans le cadre de contrats de gestion passés avec des sociétés de transports “à statuts publics” mais “ à gestion autonome” (De Lijn, TEC, STIB, SNCB). Seuls, 25% des rentrées de ces sociétés proviennent principalement [9] de la vente de tickets et d’abonnements, dont une bonne part, nous y reviendrons, ne sont plus payés directement par certaines catégories d’usagers [10]. Ces recettes de la vente représentaient il y a 2 ans à peu près 25 milliards de francs par an, soit l’équivalent de plus ou moins 200 fb./mois/habitant. C’est dans ce contexte financier somme toute assez dérisoire que l’on en arrive pourtant aujourd’hui à des situations extrêmes où les plus "pauvres" (économiquement parlant) ne peuvent, sans "frauder" et donc risquer des sanctions très lourdes [11],utiliser le transport public alors même qu’ils contribuent comme tout un chacun, quotidiennement et automatiquement, au financement de cet équipement collectif, par le biais de la T.V.A. principalement [12].

Ces quelques constats nous montrent qu’aujourd’hui, les difficultés d’accès aux transports en commun liées aux tarifs, constituent une entrave majeure à la concrétisation de toute une série de droits (économiques, sociaux et culturels) reconnus dans l’article 23 de la constitution. Pour le dire autrement, le droit à la mobilité conditionne, dans une large mesure, l’exercice des droits politiques, culturels, sociaux et économiques.

Par ailleurs, une accessibilité accrue du transport public, garantie à tous, quand bien même elle ne devrait avoir que peu d’effet direct en terme de transfert modal, n’en demeurerait pas moins légitime et défendable, dans la mesure où elle établirait simplement davantage de justice sociale et garantirait aux moins “fortunés” les moyens de s’assurer une plus grande autonomie quotidienne pour eux-mêmes comme pour leurs enfants. Sans cela, il leur est difficile de poser des choix de vie élémentaires, constitutionnellement garantis à tous : quel enseignement je désire pour moi-même et pour mes enfants ? Quel type de soins médicaux je désire recevoir ? Quelle nourriture je désire ingurgiter (ou déguster) ? Dans quel groupe de citoyens (association, syndicat, parti politique) je désire m’engager ? Dans quelle bibliothèque, médiathèque ou ludothèque, dans quelle formation artistique ou club sportif, dans quelle organisation de jeunesse je souhaite inscrire mon enfant ? Sans mobilité, point de ces choix, point donc de démocratie réelle, point d’égalité concrète entre les citoyens.

Cette question de la démocratie prend aujourd’hui un relief plus forte encore. Dans une économie et une culture de plus en plus mondialisées, par le biais notamment du Net, caractérisées par la circulation et le brassage, ne pas pouvoir quitter son quartier, voire sa ville ou son village, ou même son pays, c’est indiscutablement se trouver mis sur la touche, mis “hors jeu”, être tout simplement “out”, sans possibilité (ou quasi) d’être socialement productif, d’avoir accès aux savoirs, de tisser des relations humaines enrichissantes. Concrètement, c’est se retrouver sans maîtrise et sans possibilité de peser un tant soit peu sur son environnement, sur son devenir, sur sa propre construction personnelle…

C’est pourquoi l’enjeu d’une mobilité elle –aussi accessible est et restera central, comme ce fut le cas dans le combat globalement gagné il y a 80 ans par le mouvement ouvrier sur le plan de l’Enseignement public. Il s’agissait à l’époque, comme il s’agit aujourd’hui pour nous dans le champ singulier de la mobilité, d’affirmer le service public dans son rôle de levier pour une politique de justice sociale et de redistribution des richesses socialement produites, en tant donc qu’il constitue un revenu indirect à garantir à toutes et à tous, au “profit” principalement des plus (économiquement) démunis.



[1] Passage d’un mode de transport à un autre. Ce terme, qui s’applique tant aux déplacement des personnes qu’à celui des marchandises, est régulièrement utilisé par les spécialistes et responsables politiques à propos des dispositifs divers qui incitent ou entravent à l’utilisation de moyen de transport moins polluants ou encombrant.

[2] Voir « Enjeu de la mobilité en terme d’économie politique »

[3] Le dernier exemple en date est bien sûr la fermeture en cours de centaines de bureaux de poste, obligeant les gens à faire aujourd’hui plusieurs kilomètres parfois pour aller acheter un timbre, envoyer un recommandé ou déposer un virement.

[4] Selon Info CSC (l’organe du syndicat chrétien) du 21 septembre 2001, entre 1970 et 1999, le nombre d’hôpitaux en Belgique a diminué de 40%, le nombre d’écoles primaires de 46% et le nombre de bureaux de postes avait déjà été réduit de 44%.

[5] Du fait notamment de l’implantation de terminaux TGV dans les quartier populaires du Sud de la ville, des institutions européennes qui drainent une population au revenu aisé.

[6] Selon l’O.M.S. (Oranisation mondiale de la Santé),il y aurait encore 165 millions de citoyens européens vivant actuellement en dessous du seuil de pauvreté.

[7] Revenu minimum d’existence (équivalent du RMI en France), qui s’élève à 21.000 fb (+/- 525 euros).

[8] Entre 1980 et 2000, les pensions sont passées de 33,8% à 32,5% par rapport au salaire brut moyen, l’allocation de chômage, de 41,6% à 27,5%, et les allocations invalidité, de 43,9% à 32,8%. Entre 1985,et 1997, le risque de pauvreté en Belgique en fonction du statut du chef de famille est passé, pour les chômeurs de 20% à 37%, et pour les invalides de 8% à 16%. « Syndicats », magazine bimensuel de la FGTB (syndicat socialiste), 9 février 2001.

[9] Dans ces 25% rentrent effectivement d’autres recettes dont nous ignorons les montants, tels que locations d’espaces publicitaires, locations de véhicules avec chauffeurs à des demanduers privés ou pour des transports scolaires,...

[10] Voir « Descriptions et mises en critique des logiques de réductions tarifaires actuelles ».

[11] Il est intéressant à ce sujet de comparer les montants des amendes appliquées aux infractions routières (500 F par exemple pour un parcmètre impayé ) et leur traitement judiciaire (147 000 procès verbaux classés sans suite par le parquet de Bruxelles lors des huit premiers mois de l’année 2000) au sort réservé aux "fraudeurs" du transport public (2000 F d’amende au premier ticket de bus impayé tant à la STIB (Bruxelles) qu’au TEC(Wallonie), de 3000 F à 7000 F (!) au second suivant les régions, et ainsi de suite ; 2000 F d’amende sur le rail, passant à...7000 F en cas de non paiement dans les quinze jours).

[12] Sur un minimex isolé de 21000 F donc, on peut estimer que plus ou moins 3000 F reviennent chaque mois à l’Etat via la consommation (TVA) ou via la couverture par le locataire de l’impôt foncier de son propriétaire.











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