Extrait d’un interview publié dans "No Passaran" du mois de septembre 2001 et dans la brochure "Fraude de mieux" aux éditions réflexes.
Le CST est né, en mai 98, du croisement d’une double dynamique : les collectifs de chômeurs de Liège et Bruxelles apparus les mois précédents et un centre social à Bruxelles. Schématiquement, la volonté de se rencontrer, de s’organiser entre chômeurs nous avait amené à nous déplacer en train. Après quelques mois de bricolage et de bouts de ficelle (cartes de train partagées, prêts des uns aux autres), nous ne pouvions plus supporter les dépenses de transport. Cela nous a rappelé une évidence : les tarifs pratiqués par les sociétés de transport sont une entrave majeure à la possibilité de se mettre en lien pour tout-e-s celles et ceux qui en ont le plus besoin et plus largement à la possibilité de susciter et de développer les réseaux en fait les plus productifs et innovants : les réseaux de désirs, de connaissances, d’affinités, d’entraide…
Nous nous sommes réunis autour d’une volonté d’intervention directe à la fois ancrée dans nos conditions d’existence (comme travailleurs précaires, chômeur-se-s, allocataires sociaux, étudiant-e-s) et sous-tendue par le projet de transports de service public, c’est à dire accessibles à tou-te-s, indépendamment du statut ou des revenus.
Assez rapidement, nous avons adopté le dispositif de la carte de droit aux transports (CDT.) Nous nous sommes inspirés de la carte des collectifs AC mais en la travaillant différemment. Les cartes utilisées par AC l’étaient généralement de façon circonstancielle, lors de déplacements groupés pour des manifs, des assemblées ou isolément par des militants suffisamment audacieux.
En Belgique, la plupart des utilisateurs de la CDT s’en servent au quotidien pour leurs trajets "ordinaires", individuellement et sans pour autant être en rapport avec le CST, hors d’un contexte militant. Ça tient en partie à ce qui nous a le plus étonné dès le départ : le potentiel de cette carte en situation. La manière de la montrer à un contrôleur inaugure une situation nouvelle, instaure une relation balisée, bien sûr par un règlement commercial et disciplinaire mais ce qui prime est malgré tout la subjectivité des interlocuteur-rice-s, la capacité de l’usager-e comme de l’agent de contrôle à porter un jugement sur la singularité des circonstances et à se remettre en jeu par rapport aux normes censées s’appliquer froidement. Nous avons découvert comment ce morceau de carton libérait la parole, souvent inédite ou étouffée ailleurs, dans les syndicats notamment.
L’usage de la carte a presque tout de suite dépassé un statut instrumental ou d’opportunité ("j’ai besoin de me déplacer donc je la montre") pour agir comme prisme des pratiques en cours à la SNCB et à la STIB . Elle met en place un rapport de force général. Elle confronte les dirigeant-e-s des sociétés de transport et les mandataires politiques à un phénomène sur lequel ils n’ont aucune prise et suscite en même temps les conditions d’un débat avec le personnel et les autres voyageur-se-s quand nous nous déplaçons ou avec ces mêmes dirigeant-e-s lorsque nous les rencontrons.
Les usager-e-s de la carte acceptent systématiquement de présenter leur carte d’identité, au contraire de ce qui se passe souvent en France. Le contrôleur-se dresse un PV et dans le cas des chemins de fer, nous autorise toujours à poursuivre notre trajet (le règlement l’y oblige.) Afficher son identité est pour nous une pratique de responsabilité civile non violente. Elle distingue radicalement l’accès gratuit d’une fraude. Cette situation a plusieurs avantages : l’emploi de la carte permet quand même de se déplacer "efficacement" puisqu’on arrive à bon port, les bras de fer avec les agents sont pratiquement inexistants et la lisibilité politique de la démarche est assurée. Des contrôleur-se-s SNCB sont soulagé-e-s lorsqu’il-elle-s voient apparaître la CDT. Si un contrôleur-se sur trois se montre ouvert voir franchement solidaire, deux tiers dressent quand même un PV.