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Faisons parler les cartes...
Itinéraire d’un bout de papier

Collectif sans ticket - 7 septembre 2001


Où, quand et comment je suis né, je n’en sais fichtrement que dalle. La seule chose que je sais, c’est que mon père était un arbre – je ne sais même pas de quel modèle – et que ma mère était liquide – de l’eau semble-t-il ; salée ou pas ?? Va-t-en savoir !!


Toujours est-il que je me suis retrouvé avec environ 500 de mes semblables dans une boîte en carton – un cousin proche m’a t’on dit. Je me souviens que je mesurais 21 cm de large sur 29,7 cm de haut et qu’on m’avait surnommé "jaune crème 160 grammes" (cela venait-il de mes parents ou de quelqu’un d’autre ???).

Je me trouvais donc confortablement et chaudement installé dans cette caisse posée sur ce qu’on appelle une étagère. Les inconvénients étaient qu’il faisait noir comme dans un trou de c… et que nous étions fort serrés et entassés les uns sur les autres. Mais l’avantage en était que les bruits du va et vient incessant dans l’endroit ainsi que celui des "machines" comme on dit, paraît-il, me parvenait fortement étouffé.

Je coulais donc des jours heureux et paisibles, tranquilles diraient certains, bien que parfois vachement ennuyeux, lorsque par une après-midi pluvieuse, comme il se doit en Belgique, nous avons eu comme la sensation désagréable que l’on ressent lors d’un tremblement de terre. En deux temps, trois mouvements une main – ma foi très charmante, douce et délicate – vint nous sortir de notre alcôve, nous plia et nous secoua dans tous les sens, nous tapota sur les côtes (j’ignore encore aujourd’hui si c’était amical ou non), nous cogna sur une table avant de nous glisser dans une autre boîte qui elle sentait fortement le plastique et le métal et où il faisait encore plus noir que dans celle en carton.

Puis tout s’est passé très vite : un bruit bizarre, une chaleur étouffante, je me suis senti happé et entraîné vers les abîmes, un flash lumineux digne des projecteurs d’un stade de football lors d’un match de coupe du monde, et enfin, pour couronner le tout, une couche de maquillage noir sur la tronche, enfin plutôt sur tout le corps : on aurait dit que je participais au concours de body-painting du festival du film fantastique. Finalement, j’étais au bout du rouleau – c’est le cas de le dire – en ayant l’impression d’avoir attrapé je ne sais quelle maladie, car j’étais brûlant – je peux même dire bouillant – de fièvre.

J’ai eu juste quelques minutes de répit avant de me couper en quatre – enfin d’être coupé en quatre – au propre comme au figuré ! Je n’avais pas eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait, mais tout ce que je sais, c’est que j’avais "rapetissé" – comme dans le film "Chérie, j’ai rétréci les gosses" – et que j’avais changé de sexe – comme dans le film "Orlando" – : j’étais devenu UNE Carte de Droit au Transport du Collectif Sans Ticket !

Je pensais naïvement retrouver après ce traitement de choc ma petite place confortable dans ma caisse en carton, au milieu des miens, enfin je devrais dire des miennes puisque je n’étais pas le seul à avoir subi ces mutations… nous étions tous les 500 dans le même cas ! Mais que nenni !! Une paire de paluches nous a pris(es) sous un bras et emporté(e)s sous la pluie, dans le froid, vers un autre local, visiblement pas très éloigné du précédent, où nous avons enfin retrouvé la quiétude d’une boîte en carton. Comme nous avions rétréci, nous y avions un peu plus de place et de lumière. Ouf !! Après tous ces événements, un peu de repos s’imposait.

Et nous en eûmes enfin un peu. Pendant quelques jours, nous pûmes assister au va et vient des occupants de l’endroit, ma foi très agréable et confortable, bien que moins luxueux et beaucoup plus enfumé que le précédent. On y passait des coups de téléphone, on y écrivait sur des cousins et cousines à nous, on y tapait à "l’ordinateur" – nouvelle invention humaine qui avait fait croître fortement le taux de chômage parmi les nôtres – et on y discutait beaucoup. C’est ainsi que j’entendis parler du GAC (ça me faisait toujours rire), de théâtre action, de théâtre forum, de recherche action, de comptabilité, de nettoyage, de location de camionnette, d’ateliers ou encore de ré appropriation des moyens d’existence, de résistance, de stagiaires ou de potager collectif. Je dois avouer que je n’y comprenais pas grand chose, mais ce qui retint plus particulièrement mon attention étaient les conversations concernant le Collectif sans Ticket et le droit à la mobilité. Si bien qu’un jour je me décidai à en savoir plus et je lorgnai sur les caractères imprimés sur mon voisin – euh, plutôt ma voisine – afin de mieux comprendre de quoi il retournait. Après une lecture attentive et minutieuse, tout s’éclaircit. C’était donc cela ! Nous, Cartes de Droit au Transport du Collectif sans Ticket étions censées servir à une action citoyenne tendant à revendiquer l’accessibilité pour tous au transport en commun dont il était question qu’ils redeviennent un réel service public. Je ne savais pas encore très bien à quoi cela nous engageait, mais l’idée me paraissait séduisante et excitante, en tout cas bien drôlement plus amusante que de servir de page de garde d’un mémoire d’étudiant sur "l’incidence et le développement du trapézoïde inférieur dans le dos crawlé" ou de carte de menu dans un restaurant chic où il faut se farcir les conversations souvent stupides des hommes d’affaire et autres décideurs politiques du coin. Bref, dès ce jour, j’étais impatient, pardon impatientE – faudra quand même que je m’y fasse – d’entamer ma nouvelle carrière. Mais j’allais vite être servie. Ma curiosité allait être satisfaite.

En effet, quelques jours plus tard, l’endroit fut saisi d’une effervescence particulière. De grandes affiches, un cutter, une latte, des pochettes en plastique et du papier collant envahissaient les bureaux. Le Collectif se préparait à un collage nocturne dans les abribus et nous, les cartes, devions prendre place dans les pochettes fabriquées maison qui avaient été collées sur ces affiches. C’est ainsi qu’une grande partie d’entre nous furent tirées de leur torpeur, pliées en deux et glissées dans des sachets plastique. Nous passions à l’action !

Malheureusement – ou heureusement ? – pour moi, je ne fus pas de la partie. Les mains qui embarquaient mes compagnes s’arrêtèrent à moi. Nous étions donc quelques-uns unes à rester dans notre boîte en carton et à devoir attendre des lendemains meilleurs.

Mais l’attente ne dura pas. Le lendemain, je fus prise à mon tour, soigneusement pliée en deux, puis un type me colla avec du papier collant une photo avec sa tronche sur ma tronche. Je ne m’en plaignit pas. Il avait une tête sympa et du coup cette photo me personnalisait, me rendait identifiable. D’autant plus qu’à un moment donné quelque chose se mit à me chatouiller. C’était le type qui me parcourait d’un bic, avec lequel il inscrivait ses nom, prénom, adresse, lieu et date de naissance sur ma face intérieure. Je faillis éclater de rire mais arrivai à me contenir. Finalement, quelques instant plus tard, je me retrouvai glissée dans un portefeuille douillet, où je fis connaissance avec sa carte d’identité et d’un billet de 100 francs. Puis le tout fut introduit dans la poche d’une veste. Ma nouvelle vie allait pouvoir commencer !

Deux jours plus tard, de bonne heure, nous prenions le train. Je sais que c’était un train parce que ces bêtes-là font un bruit caractéristique que n’importe quel bout de papier, même le plus stupide, reconnaîtrait. Je me dis donc que ça allait bientôt être à moi d’entrer en scène. En effet, quelques instants plus tard, j’entendis une voix féminine entonner le depuis devenu habituel "contrôle des billets SVP". Le portefeuille sortit de la poche et moi du portefeuille. Le gars me tendis à la demoiselle – fort charmante par ailleurs – qui me prit dans ses mains douces avant de déclarer :
-  Mais ce n’est pas valable, ça, Monsieur !
-  Ca dépend de vous, répondit mon type
-  Comment ça, dit-elle. Donc pour vous ça dépend du contrôleur si vous allez être sanctionné ou pas !
-  Oui. Vous savez, certains contrôleurs comprennent notre démarche et…
-  Rassurez-vous, dit-elle, je la connais bien votre démarche

Et là-dessus, elle entrouvrit sa pochette ventrale où je vis apparaître, à ma grande stupéfaction, une de mes compagnes… une carte de droit au transport ! Mon type dut la voir aussi et ne disait plus rien. Après une seconde d’hésitation, qui nous parut une éternité, la demoiselle me rendit à mon "propriétaire", tourna les talons et s’en alla contrôler plus loin – ce qui la rendait encore plus charmante. Quant à moi, je repris ma place dans le portefeuille, entre la carte d’identité et le billet de 100 francs.

Je pense que mon type aurait voulu continuer la conversation avec elle mais que c’était vachement délicat. Je compris par la suite que c’est avec les contrôleurs sympas qu’on a le plus de mal à causer parce qu’on est tellement content d’avoir échappé au C170 qu’on n’a pas envie d’insister, des fois qu’il changerait d’avis. Et puis ceux qui vous laissent passer parce qu’ils sont d’accord avec vous ou qu’ils n’ont pas envie de remplir de la paperasserie, ou qu’ils n’ont pas compris de quoi il s’agit, ou qu’ils n’ont pas le temps ou pas envie d’avoir des emmerdes, bref, ceux qui vous laissent passer n’ont pas envie de le crier sur les toits des wagons. Ca se comprend !

Mon second voyage fut très particulier. Visiblement, mon type n’en était pas à son coup d’essai et je me dis aujourd’hui que je ne devais pas être sa première carte. Toujours est-il que durant ce voyage-là je ne sortis pas du portefeuille. Le billet de 100 balles nous avait quittés quelques heures plus tôt pour payer je ne sais quoi, mais en tout cas pas un billet de train, ça je peux l’affirmer. Eh oui, à chacun son boulot. Il avait sans doute atterri dans un tiroir caisse où il avait pu retrouver ses semblables. Bon vent à lui. C’est vrai qu’il avait l’air sympa mais il m’avait raconté lors d’une de nos conversations nocturnes qu’il était en fin de carrière. D’après lui, il allait bientôt être remplacé par de jeunes loups qu’on appelle "Euros" et serait probablement incinéré dans les mois à venir. Quelle fin atroce ! Et voilà le monde dans lequel nous vivons : après des années de bons et loyaux services, on envoie ce pauvre billet au crématorium. Moi, au moins, je peux encore espérer être recyclé (c’est la nouvelle mode dans le cadre du développement durable) et donc encore servir à quelqu’un ou quelque chose. Tant mieux. J’aime bien faire plaisir et puis comme ça je vivrai peut-être un peu plus longtemps. Je voudrais quand même aussi profiter de l’occasion pour remettre les pendules à l’heure : quand on dit que l’argent n’a pas d’odeur… mon c… ! si vous me permettez l’expression. C’est vrai que ce brave billet de 100 balles était bien sympa, mais qu’est ce qu’il flairait ! Enfin, c’est une autre histoire et c’est pas mon domaine.

Revenons donc à mon second voyage.

Je n’ai pas très bien compris ce qui m’arrivait. Et forcément, puisqu’il ne m’est rien arrivé ! Mon type n’a pas bronché. Je l’ai juste entendu dire à un copain qui était avec lui : "attends, ne dégaine pas trop vite". Puis j’ai senti son cœur battre contre le portefeuille – et ça battait fort, je vous prie de croire. On se serait cru dans une discothèque avec de la techno bien speedée à fond les manettes – et le contrôleur prendre des billets, les poinçonner puis les rendre. Je me disais "ça va être à moi". Mais mon type ne bougeait toujours pas. J’ai entendu la voix du contrôleur s’éloigner et mon type dire à l’autre à voix basse : "tu vois, faut laisser pisser parfois. S’il ne demande rien, laisse aller ; je veux bien qu’on se batte pour l’accès aux transports en commun, mais faut pas faire de zèle quand même ; on ne va pas lui courir après tout de même". Et j’en suis restée là. Congé ! Ca me rappelle une autre fois où mon gars ne bougeait pas non plus. Il regardait par la fenêtre ou lisait un bouquin, je ne sais plus ; le contrôleur s’est amené et a dit " : déjà contrôlé ?" Oui, a répondu mon gaillard sans rougir. Et le contrôleur a enchaîné avec le wagon suivant. Ou encore la fois où il faisait semblant de dormir. Le contrôleur n’a pas insisté. Mais moi je savais bien qu’il ne pieutait pas. On ne me la fait pas à moi. Je sens bien, moi, son cœur qui bat la chamade. Mais bon, il a raison. Faut pas faire du zèle et moi ça me fait un peu de repos aussi.

Parce qu’il faut que vous sachiez que la plupart du temps ça ne s’est pas passé comme ça. Loin de là ! J’ai commencé mon récit par les contrôles cools, parce que pour la suite et la fin, c’est pas vraiment un happy end ! En tout cas pour moi !

C’est vrai que si je vous raconte ma vie, c’est que depuis trois mois je me fais chier sur une étagère nickelée dans un bureau, ma foi moderne mais terriblement lugubre et aseptisé, de la Société Nationale des Chemins de Fer Belges (SNCB pour les intimes). Alors, pour passer le temps de manière intelligente, je profite de l’ordinateur la nuit, quand le fonctionnaire de service s’est tiré, pour vous conter mon histoire.

Le contrôleur qui m’a fait le plus rire exerçait sa fonction sur un train de Bruxelles vers Liège. Comme tous les autres voyageurs assis en face ou à côté de nous avaient consciencieusement exhibé leur titre de transport, mon type dut lui aussi s’exécuter. Je me retrouvai donc dans les mains moites de ce grand gaillard, le képi renversé sur le crâne et à qui les gouttes de sueur dégoulinaient presque le long du visage. Ne voilà-t-il pas qu’il s’exclame :
-  ah ! Non, hein ! Ça ne va pas recommencer !
-  Vous connaissez la carte ?
-  Oui ! Je la connais !
-  Donc vous connaissez notre démarche et vous savez pourquoi nous l’utilisons.
-  Et qu’est-ce qui va se passer si tout le monde commence à l’utiliser ?
-  Oh ! Vous savez, ce n’est pas demain la veille ! Répondit mon type un peu lâchement comme je l’entendis l’avouer à d’autres par la suite.

Là-dessus, le contrôleur laissa échapper un long "pff" blasé, ce genre de soupir lourd du poids des années et d’un boulot pas particulièrement amusant ou épanouissant, rempli d’un mélange de fatigue et de ras-le-bol, puis, avec un geste vague de la main, exprimant une lassitude accumulée, il me rendit à mon type et passa dans le wagon suivant. C’est dans un silence difficilement définissable que je réintégrai ma place dans le portefeuille habituel. Fallait-il qu’il en ait lourd sur la patate pour que, sans être d’accord avec nous ou de réellement comprendre notre démarche, il ne nous sorte pas le traditionnel et classique : "que voulez-vous, Monsieur, je suis obligé de faire mon travail (c’est-à-dire rédiger un C170), mon patron me paye pour ça !"

Parce que ce "je dois faire mon travail", qu’est-ce que je ne l’ai pas entendu lors de mes divers voyages ! Parfois agrémenté "je vous comprends bien, mais…", "je suis d’accord avec vous que les trains sont trop chers, mais…", "vous avez raison, mais…" ou alors d’un "je ne suis pas là pour penser, Monsieur, mais pour… FAIRE MON TRAVAIL !"

Et là, une fois encore, je vous cite les plus corrects d’entre eux. Parce qu’à côté de cela, qu’est-ce que j’en ai entendu des "conneries" débitées par des "accompagnateurs" comme on doit dire aujourd’hui en des termes politiquement corrects, affublés de leur uniforme gris et rouge, le képi vissé sur le front, arborant fièrement la nouvelle montre que leur patron venait d’offrir à tous les membres de son personnel et dégainant leur stylo bille plus vite que Lucky Luke. C’est parfois affligeant d’entendre ce que des représentants de la gent humaine, soi-disant l’espèce la plus évoluée de la planète peuvent sortir comme inepties, et là je ne parle que de celles qu’ils formulent à voix haute, n’osant pas même imaginer celles qu’ils "pensent", contrairement à ce que certains d’entre eux disent. Du genre :
-  Et qu’est-ce que je dois dire aux autres voyageurs qui, eux, ont payé, alors ?
-  Vous trouvez normal que les autres voyageurs payent et vous pas ?
-  C’est quoi ce bout de papier (là, ça me vexait personnellement !) ?
-  Et si tout le monde faisait comme vous, hein ?
-  Si je vous suis, alors moi, demain, si j’ai besoin d’un pain, je rentre dans la boulangerie, je me sers, je sors sans payer et vous trouverez ça normal ! Décidément, il y en a qui ont du mal à faire la différence entre un commerçant (privé par essence) et un service PUBLIC !! Ou alors, le top du summum, le fameux et malheureusement récurrent :
-  si vous n’avez pas d’argent, vous n’avez qu’à aller à pied !

Personnellement, je dois avouer que je m’en foutrais, quoique je serais réduite à l’inactivité, mais je plaindrais les panards de mon type qui se verrait ainsi astreint de se taper Liège-Bruxelles aller-retour à pied une à deux fois par semaine ! Ce genre de réflexions combinées aux tarifs exorbitants pratiqués ne vont certainement pas favoriser, à mon sens, l’utilisation des transports en commun plutôt que de la voiture (certains "accompagnateurs" conseillant le déplacement en auto-stop) !

Si certains d’entre eux (ou elles) ne sont pas très futé(e)s, il en est d’autres qui sont carrément odieux(ses). Des collègues – et néanmoins amies – m’ont rapporté qu d’aucuns n’hésitaient pas à faire appel à la gendarmerie (terme vieillot qu’on utilisait à l’époque d’avant la police unique) pour "accueillir" le porteur de la carte à son arrivée dans sa gare de destination. Une autre s’est retrouvée, en compagnie de la carte d’identité d’un utilisateur, sur un quai de gare, dans les mains du contrôleur (appelons un chat un chat, merde !) et a entendu celui-ci crier : "tu descends de mon train, sinon je le bloque ici et tu ne récupères pas ta carte d’identité !" C’est non seulement complètement fou mais d’après ce que je sais, tout à fait illégal !

Personnellement, ça ne m’est jamais arrivé. Mais un jour que nous étions dans les environs de Louvain et que je venais de reprendre ma place dans le portefeuille en compagnie du C170 dûment complété, j’ai le sentiment qu’il manque quelqu’un. Après un rapide coup d’œil, je me rends compte que la carte d’identité de mon type n’a pas rejoint sa place habituelle. J’étais en train (c’est le cas de le dire) de me dire qu’il l’avait peut-être rangée ailleurs (bien que cela ne soit jamais arrivé auparavant) quand j’entends mon gars réclamer sa carte au contrôleur. Celui-ci déclare qu’il lui a rendu. Mon type rétorque que non. Le contrôleur fouille alors dans ses poches, dans ses papiers, dans son carnet et affirme qu’il ne l’a pas. Mon gars réaffirme qu’il ne l’a pas récupérée. Refouille par le contrôleur, sans résultat. On se renvoie la balle. Puis des voyageurs assis en face de nous confirment qu’ils sont témoins et que le contrôleur n’a pas restitué la carte d’identité. Moi aussi d’ailleurs, je suis témoin, mais moi, on ne me demande pas mon avis évidemment. Les recherches du contrôleur restent infructueuses. Les autres voyageurs conseillent alors à mon type de lui demander son identité et de porter plainte à la SNCB. Lui, encore gentil, demande au contrôleur ce qu’on fait dans ces cas-là. Et voilà que celui-ci le soupçonne d’avoir en réalité récupéré sa carte et de la cacher. Alors là, mon type s’est fâché tout rouge et a répondu qu’il avait franchement autre chose à foutre de ses journées que de jouer à cache-cache et que l’autre commence vraiment à lui foutre les boules ! Là-dessus, comme par enchantement, la carte d’identité réapparaît de je ne sais quel replis de l’uniforme ou des papiers du contrôleur. Il la restitue à mon type, sans un mot d’excuse, rien ! Nada ! Et continue son bonhomme de chemin. C’est alors que j’entends la brave dame assise en face de nous déclarer : "c’est incroyable ! Ils se croient vraiment tout permis ceux-là". C’est vrai quoi ! Aucun respect pour le "client" comme ils disent aujourd’hui à la SNCB. J’aurais bien aimé pouvoir lui dire ma façon de penser à ce … ! Mais moi, vous savez …

Heureusement, ils ne sont pas tous comme ça. Un soir, on est tombé sur contrôleur pas bien méchant, pas odieux pour un sou mais vachement toursiveux. Après avoir rempli le traditionnel C170 obligatoire (puisqu’il ne fait "que" son travail !), il déclare que la stratégie consistant à nous utiliser, moi et mes semblables, n’est pas la bonne manière pour le Collectif sans Ticket d’arriver à ses fins. Qu’il existe un moyen beaucoup plus simple et plus efficace d’y parvenir. Et que ce moyen, il le connaît. Quand mon type et son copain lui demandent de nous en faire part, ce cher agent de la SNCB répond qu’ils n’ont qu’à faire travailler un peu leurs méninges et à trouver par eux-mêmes. Que c’est tellement évident ! Merci pour le coup de main ! Vive la coopération et la solidarité ! En tout cas, si vous qui prenez le temps de me lire, trouvez LA solution à laquelle ce contrôleur faisait allusion, n’hésitez pas à contacter le Collectif pour leur en faire part !! Ils vous en seront certainement reconnaissants.

J’aurais sûrement encore pu écouler des jours heureux à voyager gratos à travers la Belgique, comme la fois où nous nous étions rendus à Hasselt pour nous rendre compte par nous-mêmes de comment fonctionne le système des bus gratuits là-bas (et faudra quand même qu’on m’explique pourquoi, là, c’est possible et ailleurs pas !) ou même à l’étranger comme la fois où j’ai eu la chance de me rendre à Marseille profiter de la douce chaleur du Midi.

Mais voilà ! Il y a quelque temps, est arrivé ce qui devait bien finir par arriver : la SNCB avait donné de nouvelles injonctions à ses agents et il leur était ordonné de nous confisquer. C’est ainsi que, lors de mon dernier voyage, quand, après avoir été tripotée et retournée dans tous les sens par le contrôleur qui rédigeait l’habituel C170, je m’attendais à rejoindre ma place douillette dans le portefeuille de mon type, je me retrouvai glissée dans la pochette de l’uniforme dudit contrôleur. Beurk ! Qu’est-ce qu’il me grattait partout ce tissu rêche et rigide ! J’entendis mon type demander à me récupérer mais le contrôleur lui lança que je devais être jointe au "dossier". Nous étions déjà avancés bien loin dans le wagon, si bien que je n’eus même pas l’occasion de faire mes adieux à mon gars, en compagnie duquel j’avais vécu tant de voyages en train et en bus. La séparation fut brutale et j’ignorais ce qui allait m’arriver.

J’allais très vite être fixée – au propre comme au figuré. En effet, quelques heures plus tard, je fus déposée sur le bureau d’un préposé à la gare des Guillemins. Sans ménagement, celui-ci me transperça d’une agrafe STCR 2115 1/4"- 6mm et me scotcha définitivement à un C170 … rose (c’est vrai que ça me changeait de l’habituel jaune pisseux que j’avais régulièrement côtoyé). J’avais mal, j’étais désemparée et triste. Le lendemain matin, j’effectuais mon dernier voyage vers Bruxelles toujours affublé de ce C170 rose, quand cet imbécile me déclare lui aussi : "désolé, tu sais, mais je ne fais que mon travail". Si je n’avais pas été attachée à lui comme une sœur siamoise, ce qui réduisait considérablement ma mobilité, je lui aurais foutu mon poing dans la gueule ! Mais j’ai préféré l’ignorer dans sa bêtise et je n’ai rien dit.

Arrivés à Bruxelles, nous sommes passés dans différentes paires de mains ; les unes moites, les autres rapeuses à cause d’une peau désséchée, puis une paire de mains douces avant de passer par celles, caleuses, qui nous déposèrent sur l’étagère où je repose aujourd’hui et dont je vous ai parlé plus haut.

Voilà ! Et depuis, j’attends. Les jours se suivent et se ressemblent. La nuit, je profite de l’ordi pour écrire. Et même si je dois de temps en temps supporter les réflexions idiotes du C170 dont je n’arrive pas à me débarrasser, il ne refuse pas de m’accompagner. Et même qu’hier, il m’a avoué que lui aussi serait intéressé par écrire ses mémoires parce que visiblement, malgré la couleur qu’il affiche, sa vie n’a pas toujours été rose. Là, je dois avouer qu’il m’a surprise ! Qui sait ? S’il a le temps, il s’y mettra peut-être. S’il a le temps, car hier on nous a adjoint une liste de noms rédigée par le BCR (et j’y ai reconnu le nom de mon type) et j’ai entendu dire que nous allions être transférés à la gendarmerie de Liège pour interrogatoire, lors duquel je suis censée jouer le rôle de pièce à conviction. Ben tiens !

D’après les copines, on devrait ensuite prendre la direction d’un tribunal de police où on risque de rencontrer des juges dont le niveau de réflexion et de conscience n’est guère plus élevé que celui de bon nombre de contrôleurs de train. Elles m’ont dit aussi que le CST est allé en appel des décisions en tribunal de police. Et que ce serait pour décembre 2001. Cela me fait donc peut-être encore quelques voyages en perspective et la possibilité de revoir mon type.

En attendant, j’attends. Et si un jour le CST obtient gain de cause et que les transports en commun deviennent enfin gratuits (ce qui, à mon sens, serait logique puisque les citoyens paient déjà par leurs taxes et leurs contributions pour que ce service public leur soit rendu) j’espère que moi je pourrai être recyclée pour servir une autre cause tout aussi légitime ; par exemple, l’accès aux soins de santé ou à l’éducation ou à l’information ou à la culture ou…ou… bref tout ce à quoi tout le monde devrait avoir accès dans un pays qui se gausse d’être démocratique et se targue d’assurer la "Présidence de l’Union Européenne."

A bon entendeur, salut !

Une Carte de Droit aux Transports du Collectif sans Ticket.










Forum de l'article (1 messages)

> Itinéraire d’un bout de papier    
22 octobre 2005

Cher collectif sans ticket,
je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais si tu étais un honnête travailleur au lieu de vivre aux crochets de la société tu paierais ton ticket comme tout le monde. Je trouve plus normal de payer 10 euros pour faire 50 km en train que de se faire voler
35 euros pour faire Grand place-Zaventem(10km) en taxi.
La différence de tarif s’explique par le fait que le premier prix est demandé par une entreprise publique (qui essaie quoi que tu penses de permettre à un plus grand nombre d’avoir accès à la mobilité) et l’autre prix est demandé par un chauffeur le plus souvent issu de pays ou l’honnêteté est rarement au programme dans l’éducation et à qui il faut très souvent demander d’enclencher le compteur sous peine de débourser le prix du billet d’avion. Sache pauvre type que l’essence même de l’anarchie est de s’enrichir le plus vite possible aux détriments des autres et souvent même dans la violence et je te souhaite de finir ta vie dans un pays anarchique libertaire rien que pour voir ta gueule. Si tu veux voyager en train, ce ne sont pas des sangsues de la société comme toi qui vont les faire rouler(ils seront plutôt du genre à attaquer le train pour dépouiller ses occupants comme au temps des diligences).Je te souhaite de bonnes amendes en espérant que les contrôleurs seront intransigeant vis à vis des fraudeurs dans ton genre et que cet argent ainsi dégagé pourra prémunir les trains contre le manque à gagner produit par les anarchistes (qui veulent la gratuité car trop fainéants pour gagner en travaillant le prix ridicule d’un voyage en train)et tous ces taggeurs qui coûtent des millions d’euros en nettoyage de wagons et sans lesquels le prix du ticket pourrait diminuer sensiblement.
Car il ne faut pas se leurrer,sans l’incivisme,l’aggressivité et la fainéantise,la vie serait nettement moins chère.Bon voyage.





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