Cliquez ici pour écouter le bulletin radio de Liège Info (Eric Dagonier) qui rend compte de cette audience. Choisir le tableau "Fréquence Wallonie, décrochage de Liège" - mercredi, 18h. La séquence sur la comparution vient en quatrième lieu dans ces infos .
Articles de presse sur l’audience :
- Le Soir : "Désobéissance civile dans les bus"
Comme annoncé hier en dernière minute, Sara Graetz, utilisatrice liégeoise de la carte de droit aux transports des CST sur le réseau des TEC Liège-Verviers, a répondu ce mercredi 22/01 à la convocation à comparaître au Tribunal de Justice de Paix du 1er canton. Avec sous le bras un argumentaire relatif à la légitimité du projet de l’accès libre aux transports en commun, elle a rejoint la salle d’audience du 89 rue St Gilles, accompagnée d’une poignée de proches et d’usagers du Collectif sans ticket que l’heure matinale et la diffusion tardive du rendez-vous n’avaient pas réussi à décourager.
Une première surprise nous a accueilli au moment de pénétrer dans la salle d’audience. Que celles et ceux qui gardent le souvenir d’une Justice de Paix rendue à la faveur de débats en petit comité (du type « propriétaire-locataire-juge ») , quasiment intimistes et feutrés, oublient ce schéma dans le cas présent : plusieurs dizaines de personnes attendaient déjà elles aussi de comparaître, presque toutes pour le même motif - défaut de paiement d’un titre de transport TEC. Nous l’apprendrons plus tard : à cette audience, 156 usagers avaient été convoqués. 156 contrevenants « en bout de chaîne », au sortir du process de production des fraudeurs dûment labellisés et traçabilisés, à partir d’une matière première abondante : 15.800 infractions officiellement constatées en 2002 pour la seule société du TEC Liège-Verviers.
Sur ces 156 usagers « triés » (le terme est du responsable du service juridique du TEC), une soixantaine avait fait le déplacement vers la conciliation. De la jeune fille d’origine maghrébine entourée de ses parents au militaire de carrière crâne rasé, de l’apprenti menuisier à la femme d’âge mûr et d’allure BCBG, auxquels s’ajoutaient quelques « non convoqués » du CST, nous formions une étonnante assemblée de circonstance, réunie par la combinaison d’un usage (la pratique du droit aux transports) et d’un coup de dés (l’irruption d’un contrôle). Notons au passage que la plupart des présents étaient chômeurs, travailleurs précaires, étudiants ou minimexés. Les retombées judiciaires de l’accès payant aux TEC concernent rarement ceux qui roulent en 4X4.
Nous prenons place sur l’un des bancs, le temps de remarquer le manège d’une femme et d’un homme qui s’approchent de chaque personne convoquée, lui posent une question, notent on ne sait trop quoi puis passent au contrevenant suivant. Il nous faudra 5 bonnes minutes pour découvrir que ceux qui nous semblaient être des greffiers sont en réalité les avocats du TEC... Aussi à l’aise avec leurs « invités » que s’il s’était agi d’une pendaison de crémaillère : ils accueillent, transmettent à la cantonnade les consignes d’usage (« Les gens qui souhaitent une attestation de présence pour leur boulot éventuel (sic) doivent s’adresser au huissier »), bref, ils organisent le cérémonial, dans un esprit de détente générale. Après tout, ne sommes-nous pas engagés dans une procédure de conciliation ?
Lorsque l’avocat du TEC arrive à notre hauteur - sans même répondre quand nous lui demandons s’il est bien greffier - Sara l’interroge sur les modalités pratiques de cette conciliation, et elle ajoute :
J’aimerais bien, une fois devant le juge, pouvoir lire un texte.
La réponse fuse, nette et tranchante :
Ce n’est pas ici une audience de jugement mais de conciliation. Nous vous demandons simplement si vous acceptez de payer la somme qui vous est réclamée. Si oui, les choses en restent là. Dans le cas contraire, nous actons votre refus et le TEC peut vous assigner à comparaître, cette fois dans le cadre d’une procédure de contentieux... où la condamnation risque fort d’être plus coûteuse pour vous.
Sa collègue avocate s’empresse de préciser :
Conciliation est un terme du code judiciaire, qui ne correspond ni à un compromis ni à une transaction.
Traduction : 156 personnes sont priées de se déplacer au Tribunal à 8h45 pour rassurer le TEC sur leur capacité à signer un chèque. L’option « droit de penser et de s’exprimer » n’est pas comprise dans le package. Comme le dira un journaliste témoin de la scène : la procédure de conciliation, c’est « pour parler, il faut payer ».
L’entrée en lice du juge de Paix lui-même (3/4 d’heure après l’arrivée de la plupart des convoqués) ne fera que confirmer ce schéma :
C’est une audience de conciliation, il n’y a pas lieu de développer des plaidoieries. J’acte les accords et les désaccords.
Rarement la fonction de magistrat aura été autant valorisée.
Le juge poursuit :
Les personnes qui sont d’accord pour rembourser moyennant un délai de paiement sont censées recevoir et signer un procès-verbal de conciliation. Mais vu le nombre de cas à traiter et l’absence d’informatisation du tribunal, nous leur demanderons de signer un document en blanc - ce qu’il ne faut jamais faire... sauf devant un juge de Paix.
Sara est enfin appelée devant le juge pour faire acter sa réponse (« oui » ou « non »). Elle explique :
Je suis disposée à payer les 76 euros réclamés, pour autant que je puisse exposer les raisons qui m’ont conduit à poser un acte politique de non paiement ... .
Un instant, le juge paraît vaciller :
Quelle est la longueur de votre texte ?.
Sara montre les 2 faces de l’argumentaire - une lecture de 3 minutes, tout au plus.
Mais l’avocate du TEC veille au grain :
Monsieur le juge, c’est une audience de conciliation, ce n’est pas possible !.
Et le responsable du service contentieux du TEC sort lui aussi du bois :
Ce sont les gens du Collectif sans billet, on les connaît... Vous diffusez de fausses informations, et vous faites preuve de mauvaise foi. A Bruxelles, ça ne vous a pas réussi !...
L’un d’entre nous intervient alors [les échanges, murmurés au début, sont maintenant suffisamment sonores pour que toute l’assemblée n’en perde rien] :
Enfin, est-ce qu’une usagère a le droit d’exprimer le pourquoi de son acte, ce qui la conduit à se retrouver devant vous ? Et je ne vous permets pas de prétendre que nous sommes de mauvaise foi...
L’avocate du TEC :
Oui, vous avez raison, c’est déplacé de sa part...
Au final, à la question rituelle « acceptez-vous de payer ? », Sara maintiendra que :
Je préfère prendre un avocat et revenir dans le cadre d’une procédure de contentieux, si on m’impose le silence aujourd’hui.
Formellement, la conciliation s’est donc refermée sur un constat de désaccord, et une forte probabilité de voir Sara citée à nouveau dans les prochaines semaines.
Pour autant, les discussions n’en restèrent pas là, bien au contraire... A peine le désaccord était-il acté qu’un forum improvisé voyait le jour, à 5 m du juge - ce dernier continuant imperturbablement à recueillir les « paie »-« ne paie pas » d’autres usagers. Un forum au moins aussi bruyant que la parole du juge, mêlant pendant 10 minutes les journalistes venus couvrir l’affaire, des contrevenants, les usagers du CST présents en soutien et - surtout - le responsable contentieux du TEC. Celui-ci semble ne pas s’être attendu à la décision de Sara (accepter une nouvelle comparution). Il reviendra plusieurs fois sur le thème du « Nous sommes là pour essayer de trouver un accord », concédant certaines choses (On ne vous accuse pas de fraude, on vous dit que vous n’avez pas payé votre titre de transport) et venant encore trouver Sara alors qu’elle était sortie de la salle d’audience, pour lui dire :
Ce n’est pas bien grave. A votre place, je suivrais la procédure habituelle : j’enverrais au TEC la lettre type du Collectif sans ticket, en demandant un accord. Dites que ce jour-là vous n’avez pas pu payer...
La perspective du déclenchement d’une réaction en chaîne, d’une multiplication chez les usagers des refus de telles « conciliations » n’est peut-être pas étrangère à ces marques de sollicitude.
Le TEC Liège-Verviers entend pouvoir prolonger sa campagne « anti-fraude » (initialement prévue jusqu’à janvier 2003) dans de bonnes conditions.
Sara et de nombreux autres usagers aimeraient, eux, être entendus...
PS : Sara remercie chaleureusement toutes celles et ceux qui lui ont témoigné des marques d’encouragement.