L’ECOLABUS

- L’Ecolabus avant transformation...
UN BUS A L’HETEROGENE

A partir du mois de septembre 2003, le Collectif sans ticket (CST) se propose de mettre en circulation l’Ecolabus, un autobus en libre accès et roulant au biocarburant (huile brute de colza). Celui-ci sillonnera les routes de Belgique à la rencontre de différentes initiatives et projets qui font écho aux problématiques que le CST entend soulever.
L’Ecolabus se veut tout d’abord l’outil et le support d’interventions publiques multiformes. Ces interventions, construites autour du périple de l’Ecolabus, sont à élaborer à plusieurs, en fonction des savoir-faire et des enjeux concrets vécus dans les territoires que le bus traversera. Le second objectif de ce projet vise à initier une réappropriation collective de trois questions de société que l’Ecolabus souhaite symboliser :
les rapports à l’énergie, à sa production, sa distribution et ses modes de consommation ;
les transports publics et les effets de l’accès gratuit sur le quotidien des usagers
et enfin ce qu’on pourrait appeler la construction d’utopies concrètes.
A cet égard, l’écologie semble pouvoir nous aider dans la reprise en main de ces questions majeures. Elle permet de repenser les relations d’influence réciproque qui relient entre elles différentes problématiques, en mettant de côté la vision partielle du monde que nous a légué la culture moderne qui oppose nature et culture, individu et collectif, etc. Nous envisageons la notion d’écologie à partir de l’articulation entre écologie environnementale, écologie sociale et écologie mentale [1]. Cette articulation entre trois registres distincts mais étroitement liés implique qu’on ne peut plus prétendre se soucier aujourd’hui de l’état de la planète sans en même temps se pencher sur la nature des agencements sociaux et mentaux à l’origine des dégradations environnementales.
Les modes de production, de transport et de consommation contemporains affichent ainsi un bilan clair. La croissance continuelle des volumes de biens et services engendrés et acheminés par les circuits économiques majoritaires, alignés sur le critère du profit, mutile à trois niveaux.
Celui de la biosphère - l’activité industrielle des cinquante dernières années a englouti plus de ressources énergétiques non renouvelables et d’espèces vivantes qu’au cours des deux siècles précédents.
Celui des individus - les affects de repli, les états dépressifs et les pertes graduelles d’autonomie se répandent au Nord de la planète alors qu’au Sud ne cesse d’augmenter le nombre de celles et ceux que le commerce international plonge dans la misère.
Celui, aussi, des collectivités, des groupes et des communautés, sommés de s’arracher à leurs "petits territoires", à leurs cultures, bref à des singularités dont l’existence risque d’entraver la circulation des poids lourds ou des flux financiers.
Modestement le projet d’Ecolabus s’attache non seulement à faire éclore une réflexion sur les remèdes possibles en matière de sauvegarde de la planète, à travers notamment l’idée de transport durable, mais vise aussi à instituer des dynamiques collectives à même de relever ce type de défi, notamment en mettant en évidence les savoirs locaux et les processus coopératifs.
1. La question énergétique
Les problèmes actuels autour de l’énergie, qu’elle soit destinée à l’industrie, à la mobilité ou encore à assurer notre coûteux confort personnel, constituent l’une des épreuves majeures de nos sociétés. Tout le monde ou presque s’accorde pour dire que de réels changements doivent être mis en œuvre dans ce domaine. Si le sommet de Kyoto a débouché sur un protocole d’accord prévoyant, pour certains pays industrialisés, une légère réduction des gaz à effet de serre, personne n’est dupe quant à sa portée : aucune décision sérieuse de politique énergétique n’a encore été prise, les lobbies pétroliers et nucléaires sont plus influents que jamais tandis que le sentiment d’impuissance n’en est que renforcé.
Différentes associations dénoncent cet état de fait en matière d’énergie, à l’exemple des groupes antinucléaires ; d’autres encore proposent ou mettent en œuvre de réelles alternatives. La filière des biocarburants offre à cet égard des perspectives prometteuses. Aujourd’hui, différents collectifs et particuliers ont pris le parti de développer dans la pratique un mode de déplacement écologique en recourant aux huiles-carburants [2]. Certains pressent déjà eux-mêmes leur huile.
En France et plus encore en Allemagne, au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, on assiste à un intérêt grandissant pour ces huiles-carburants. L’Union européenne s’est elle-même récemment prononcée en faveur de leur promotion tandis que, paradoxalement, des procès étaient intentés, en France notamment, à l’encontre de certains de leurs utilisateurs…
Les atouts environnementaux des biocarburants
Les biocarburants, comme l’huile de colza utilisée en tant que substitut au diesel conventionnel, sont des carburants issus de la biomasse, c’est-à-dire les matières et déchets organiques qui peuvent être brûlés pour produire de l’énergie. On parle d’énergie renouvelable dans la mesure où il y a équilibre entre les gaz carboniques libérés dans l’atmosphère par la combustion de ces matières organiques et ceux absorbés par la plante durant son cycle de croissance à travers la photosynthèse. La combustion des carburants fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon), en revanche, renvoie dans l’atmosphère du dioxyde de carbone enfermé dans la croûte terrestre durant des millions d’années. En outre, ceux-ci engendrent des acides sulfuriques, responsables des fameuses « pluies acides », ce que ne produit pas la combustion des biocarburants.
Dans le cadre de ce projet, nous avons opté pour l’adaptation des moteurs de deux bus roulant au diesel pour qu’ils puissent circuler à l’huile-carburant. Cette filière se caractérise avant tout par sa simplicité. L’huile, produite par le pressage et le filtrage de graines de colza, de tournesol ou d’autres végétaux oléagineux, est versée comme telle dans le réservoir en substitution partielle ou totale au diesel. L’adaptation du moteur ne nécessite, elle aussi, que des connaissances mécaniques limitées.
Le potentiel que présentent les énergies vertes issues de la biomasse est considérable. Cependant, la valorisation de ces énergies ne peut se faire sans une interrogation sur l’amont et l’aval de leur utilisation. Certains groupes pétroliers ayant flairé la bonne affaire mettent déjà sur le marché des carburants alternatifs tels que le diester© (une transformation chimique à base d’huile de colza). Si ce type de carburant est plus « propre » à l’usage, il permet à ces groupes d’étendre leur emprise sur la politique énergétique, y compris en repoussant encore les limites d’une industrialisation massive de l’agriculture. Le gouvernement américain, par exemple, investit fortement dans la recherche en « biotechnologies », en vue de substituer des fermiers high tech aux émirs du Golfe comme principaux fournisseurs de l’industrie chimique et énergétique nationale. Or, seule peut répondre à des critères environnementaux, sociaux et humains une culture biologique et décentralisée des huiles végétales, proche de ses lieux de consommation. Une large promotion des biocarburants n’aurait pas non plus de sens sans une remise en cause de nos modes de vie fondés sur une consommation hautement énergivore, entre autres en raison de la place qu’occupe la voiture dans nos sociétés. La question revient finalement à savoir comment dans ce domaine aussi produire sens et lien social.
2. L’accès libre, source de nouveaux possibles [3]
La mise en œuvre d’un accès non tarifé aux réseaux de transport public constitue également un processus à travers lequel la pluralité écologique transparaît. La perspective de l’accès gratuit offre une opportunité de travail collectif sur la multiplicité des dimensions qui tissent le vivre ensemble. En effet, avec la question des biocarburants comme avec la promotion du libre accès, il ne s’agit pas de soutenir l’adoption d’une formule clé en main qui se suffirait à elle-même. Notre objectif est bien plus de mettre en vibration réciproque des nœuds de questions sociales, urbanistiques, environnementales et de révéler des problèmes et des potentiels de changements.

- Vestiges d’un accès restreint ?...
Lorsqu’on porte un regard un tant soit peu prospectif sur ce que produira une accessibilité accrue aux services de transport, une foule d’interrogations et de pistes possibles apparaissent sur lesquelles des artistes, des travailleurs des services publics, des associations de protection de l’environnement ou encore des comités de quartier planchent déjà.
Un premier volet d’innovations que l’on pourrait pointer concerne les dimensions sociales et socialisantes. Lever les barrières tarifaires qui conditionnent aujourd’hui les capacités de déplacement desserrera l’étau qui comprime environ 30% de la population, celles et ceux que nous nommons les banlieusards du travail salarié. L’accès libre généralisé signifiera dans ce cas une plus grande autonomie et plus d’égalité au quotidien, à la fois dans l’ordre des besoins et sur le plan des désirs. Le libre accès tendra aussi à rééquilibrer le rapport à l’ensemble des infrastructures communes (centres culturels, hôpitaux, écoles, etc.) et de ce fait contribuera à vitaliser les tissus sociaux, en recomposant un écheveau d’itinéraires personnels et communautaires inédits.
Sur le versant environnemental, il ne fait pas de doute que l’accroissement du recours aux transports publics, l’un des effets escomptés de l’accès gratuit, est un facteur clé de restauration de conditions d’existence décentes autant en milieu urbain que rural. Il se traduira entre autres par une diminution significative des polluants atmosphériques, des nuisances sonores, du morcellement des territoires, des quantités de bitume épandues sur des espaces de vie, etc. Nous concevons l’accès pour tous aux transports collectifs comme le ferment d’un nouveau déploiement de ces services publics, dès lors en mesure de supplanter l’usage de la voiture. Un tel déploiement exige une valorisation de leur rôle et une multiplication du nombre de lignes, des fréquences, des horaires assurés, etc.
Une troisième implication du libre accès interroge l’aménagement du territoire. L’accès libre aux transports collectifs doit accompagner l’aménagement d’une ville conviviale et d’une campagne mieux desservie. Ce changement de perspective implique lui aussi une nouvelle manière de concevoir l’espace public. La prise de décisions et les choix relatifs à l’affectation de cet espace tendent aujourd’hui à former un domaine réservé laissé à la discrétion d’initiés, en lieu et place des premiers concernés, les habitants. Il s’agit bien là de réinventer une culture du commun, dans son habitation, dans son ambiance, dans les formes de socialité qu’il rend possibles ainsi qu’au niveau des modes de fonctionnement et d’organisation de ces territoires de vie.
3. La construction d’utopies concrètes
L’écologie « plurielle », où se combinent pratiques nouvelles, savoirs disparates et désirs politiques, n’a pas vocation à faire système. Son mouvement se nourrit de tâtonnements, d’expérimentations localisées, de mélanges d’improbables, d’impuretés vivifiantes. Il n’en doit pas moins être exigeant, attentif notamment à débusquer les concepts et imaginaires moteurs d’impuissance, à l’exemple de ceux qui ont condamné le récent « Sommet de la terre » de Johannesburg.
Des pratiques communautaires comme la construction de son habitation, la prise en charge des défunts ou l’agriculture vivrière, menacées de disparition un peu partout sur la planète au nom de la croissance, présentent des richesses et des potentialités qui ne doivent rien aux mécanismes du marché monétaire. De telles pratiques ouvrent la voie à autant de pistes nouvelles et d’expérimentations, là où le fatalisme et la résignation régnaient en maître. Des cyclistes qui retracent la configuration de leur ville, des consommateurs qui organisent leur propre circuit de distribution alimentaire ou encore des usagers de la médecine qui instituent une nouvelle manière de penser leur maladie sont autant d’usages susceptibles de libérer l’imaginaire des concepts-mouroirs assénés à grands coups de massue dans notre conscience collective.
Cette multitude d’initiatives créatrices réinventent aussi bien les modes d’être au quotidien que les rapports à l’environnement, au politique, à l’économique ou à l’esthétique. En se nourrissant les unes des autres, elles se renforcent et mettent par-là en vibration des champs de questionnements artificiellement segmentés.
L’Ecolabus a l’ambition de circuler à travers cet univers foisonnant, vagabondant à la rencontre d’initiatives qui redessinent les paysages moroses de nos sociétés. Le processus de mise en route du bus offre lui-même la possibilité d’expérimenter une filière autonome et décentralisée de mise en circulation de véhicules roulant à l’huile brute de colza. Il permet dans le même temps de croiser des compétences aussi diverses que celles liées à la mécanique, à l’agriculture ou encore à la politique. Les diverses interventions qui jalonneront son parcours doivent, elles aussi, se concevoir dans cette optique. Elles visent non seulement à renforcer et mettre en perspective des initiatives porteuses mais aussi à agréger autour de cet objet mobile et hybride d’autres manières de vivre, de produire ou de s’associer.
Le texte que vous avez sous les yeux constitue une invitation à élaborer ensemble ces utopies écologiques que créera l’Ecolabus.
Invitation à l’élaboration commune du projet Ecolabus
La mise en circulation des deux bus et la conception d’interventions autour de son itinéraire nécessitent le concours de différents savoir-faire, ainsi que l’obtention de ressources matérielles et financières dans les divers registres du projet.
Les préparatifs qui permettront à l’Ecolabus de voir le jour rentrent dans une phase d’ébullition. Concrètement, nous cherchons à étendre les équipes impliquées dans l’orchestration de l’Ecolabus :
l’atelier mécanique, chargé de la conversion du moteur vers l’huile-carburant, de l’entretien des bus et des aspects de transmission des savoir-faire qui y sont liés ;
la division agriculture, qui a pour tâche de dresser un état des lieux des problématiques qui touchent à la production d’huiles-carburants et aux pratiques agricoles, ainsi que de garantir l’approvisionnement en huile de l’Ecolabus ;
le pôle des collaborations locales, composé d’associations et de personnes oeuvrant à la construction « d’utopies concrètes », avec qui seront définies les interventions du bus sur leur territoire ;
la confrérie des chauffeurs de bus, réseau de conducteurs répartis sur les différents territoires et disposés à faire circuler le bus et les débats qu’il entend faire naître ;
la galerie des Bus-arts, visant à modeler l’Ecolabus comme source d’expériences esthétiques, autant sur le plan de son aménagement intérieur qu’au niveau de son parcours ;
le service communication & multimédia, se consacrant à la publicité du projet, à la mise sur pied de rencontres-débats, à l’organisation de démonstrations publiques sur l’usage des huiles-carburants et à la traduction du projet sous la forme de vidéos, séquences radios, pages web etc. ;
l’unité recherche et développement, destinée à la réalisation d’une brochure qui explicite les enjeux contemporains en matière d’énergie, de transports et d’écologies, et qui pointe dans ces domaines d’autres possibles ;
Enfin, comme chacun le sait, "la gratuité a un coût" :-)… Les activités des groupes qui travaillent autour de l’Ecolabus nécessitent un financement qui nous fait encore partiellement défaut.
Pour toutes propositions, soutiens ou informations :
Collectif sans ticket -Bruxelles
35 rue Van Elewijck
1050 Bruxelles
tél. : 02/644.17.11
collectifsansticket@altern.org