Un article issu du site "Terre d’Escale", qui prend acte du processus de privatisation de la SNCB, à travers le nouvel ouvrage de Marc Vandermeir, ancien journaliste au quotidien Le Matin et grand connaisseur du rail belge.
LA BELGIQUE AUSSI A SES NAVIGATORS
Par Patrick Gillard.
Publié le 11 juin 2004.
Auteur d’un livre paru juste avant la récente scission de l’ancienne Société Nationale des Chemins de fer Belges (ex-SNCB), Marc Vandermeir craint, pour cette importante entreprise publique nationale, une répétition du "crash" qui a mis fin aux activités de la SABENA en 2001, à la notable différence près que, faillite ou pas, « les trains, eux, ne pourront jamais s’arrêter de rouler ». Comme le titre de son ouvrage l’indique, il attribue la responsabilité de l’insolvabilité latente de l’ex-SNCB à la « désastreuse gestion » des hommes politiques qui ont conduit et conduisent les chemins de fer du pays. [1]
La toute nouvelle partition de l’ex-SNCB en plusieurs sociétés, et la reprise d’une grande partie de la dette de l’entreprise publique par l’Etat [2] - des décisions qui répondent à des exigences de l’Europe, quoi qu’en disent les responsables politiques belges toujours prompts à se dire indépendants dans leurs décisions - n’écartent pas le retour d’un scénario catastrophe de type sabénien. La mise en application même sur le tard de directives européennes favorables à une libéralisation du rail multiplie en revanche les écueils qui menacent les chemins de fer belges. Au danger de la déconfiture d’une fraction ou totalité du nouveau groupe SNCB, se greffent non seulement le risque de sa privatisation, mais aussi - Belgique oblige - celui de sa régionalisation.
Une privatisation inscrite dès l’origine
Signe prémonitoire de la privatisation redoutée, l’ex-SNCB présente dès sa fondation en 1926, « des organes de gestion fidèlement calqués sur ceux d’une entreprise privée ». De plus, l’ancienne SNCB n’a jamais été une entreprise publique à part entière ; les circonstances de sa création justifient le particularisme de son capital. Il était donc inévitable que, même si elle est presque complètement contrôlée et garantie par l’État, la structure toute neuve de la SNCB, qui a vu le jour en mars 2004, ne soit pas non plus intégralement publique : loin d’être mixte, elle fonctionne néanmoins avec des capitaux privés. [3]
Une accélération du processus de privatisation
La nomination à la direction de l’ex-SNCB de managers venus du secteur privé favorise un processus de privatisation déjà encouragé par les courants économiques dominants. A cet égard, le choix par le Premier ministre de l’administrateur délégué, Karel Vinck, est très révélateur. Faut-il rappeler que l’ancien « "patron des patrons" flamands » siège aux conseils de quelques grosses sociétés belges, au terme d’une longue carrière vouée à la restructuration d’entreprises... privées ? [4] De plus, ces dirigeants du privé ne débarquent pas seuls à l’ex-SNCB : très vite, ils sont suivis d’onéreux consultants extérieurs !
Déjà effective depuis le 15 mars 2003 en ce qui concerne le transport des marchandises, la libéralisation totale du rail européen, qui arrive à grande vitesse, sonnera bientôt le glas de l’entreprise publique des chemins de fer belges, incapable de s’imposer "compétitivement". A Bruxelles, « l’exécutif européen planche [déjà] sur des projets qui ouvriraient (...) à la concurrence le transport international des voyageurs d’abord, le transport national enfin. Une date est même régulièrement avancée pour ce dernier : 2007. »
Malgré cette évolution fulgurante qui semble n’avoir nul besoin de "mouche de coche", des voix s’élèvent cependant encore pour réclamer la dénationalisation totale de la société de gestion des infrastructures du nouvel holding ferroviaire belge et pousser à sa cotation en bourse. Pour ces apôtres du tout au privé, le drame socio-économique causé par la privatisation des chemins de fer britanniques ne mérite aucune interrogation parce que, tout simplement, « les Anglais ont mal préparé la privatisation de leur rail ». [5] Venus en nombre aux représentations du film "The Navigator" de Ken Loach, les cheminots européens ne partagent pas cet avis. Ils étaient plusieurs milliers le 31 mars dernier, à Lille, à tirer les leçons de l’échec britannique et à crier « haro sur la privatisation ». [6]
Patrick Gillard
Historien et collaborateur de Terre d’Escale.
[1] Marc VANDERMEIR, « SNCB : la faillite du politique », Bruxelles, Éditions Labor, 2004, 184 p. Sauf indication contraire, les citations sont tirées de cet ouvrage. Seul le spectre de la privatisation, présent en filigrane dans ce livre, sera développé ici.
[2] Décidées par le Conseil des ministres du 26 mars dernier, ces mesures qui doivent encore être approuvées par différentes instances et être publiées au Moniteur belge, entreront en vigueur dès 2005.
[3] Créée en pleine crise économique, la SNCB naissante s’était alors vue ouvrir son capital à des investisseurs par un gouvernement qui cherchait à diminuer la dette publique pour stabiliser le franc belge. « Cet apport privé présent dès le départ explique que, aujourd’hui encore, la SNCB compte 0,2 % d’actionnaires privés, fort remuants depuis 2001. »
[4] Geoffrey GEUENS, « Tous pouvoirs confondus », Anvers, EPO, 2003, p. 243.
[5] Damien GÉRADIN, (entretien par Philippe LAWSON), « SNCB : "il vaut mieux privatiser les rails" », dans « La Libre Belgique », Sa 15 et Di 16/11/03, p. 26.
[6] AFP, « Les cheminots crient haro sur la privatisation », dans « Le Soir », Je 1/4/04, p. 13.